Chez &SENS l’égalité homme femme a toujours été une évidence, ce qui explique sans doute que nous scrutions attentivement la présence des femmes dans ces cuisines que nous aimons tant. Grande interrogation que cette sous-représentation féminine comme si les hommes avaient des qualités différentes (supérieures ?) qui les prédestineraient à entrer dans le très fermé club des chefs… Anne-Sophie Pic pour qui nous avons travaillé pendant plus de 10 ans faisait l’objet de réflexions machistes, de petites phrases désobligeantes. Choquées, révoltées, nous nous sommes toujours opposées et avons décidé pour cette Journée Internationale des droits de la Femme 2018 d’aller regarder de plus près dans les cuisines des chefs dont nous assurons la communication. Les femmes y sont derrière les cuisiniers, jamais anodines, toujours fiables et surtout talentueuses.
Commençons par la figure contrastée et attachante du tenant de la bistronomie, Stéphane Jego dont les secondes, Julia de Lagarrigue et Lisa Desforges, aussi calmes que le chef est dynamique, aussi douces qu’il est révolté, aussi silencieuses que lui est impétueux, ont su s’imposer à la tête de la brigade. Elles dansent autour du piano, préparant sans relâche les parfums qui verront mijoter viandes et légumes, préparant les végétaux, parant les viandes, vidant les poissons dans un mouvement continu et léger. Complices mais toujours discrètes, leur placide assurance est à la mesure des exigences du cuisinier. Du reste, il ne cache pas son enthousiasme : « j’aime travailler avec des femmes, ce qui ne fait aucune différence aux fourneaux mais… me permet d’éviter les combats de coqs ! Chez moi, il y a plus de femmes que d’hommes en cuisine, leur force est un atout majeur au quotidien, leur vision de l’humain, leur sérénité aussi. Je ne saurais me passer d’elles!».
Figure de la bistronomie parisienne, Sébastien Gravé qui partage son restaurant parisien, en temps et en cuisine avec Louise Jacob, sa complice de longue date. Cette jeune femme au sourire franc, l’humeur badine, est emblématique du geste féminin en cuisine. Elle empoigne viandes et poissons, taille, tranche, coupe avec conviction et précision ce qui ne l’empêche pas de faire de la dentelle ensuite avec légumes et préparations délicates. Rien ne lui résiste, elle mène l’équipe tambour battant et toujours (ou presque) le sourire aux lèvres. Elle salue l’audace du chef et aime prendre des risques, la cuisine est pour elle plus qu’un partage, un don. Elle pose parfois une fleur pour finir le plat, lui la retire, peut-être est-ce là, dans cette note de tendresse que se cache une légère différence sensible. « Louise est avant tout une amie. Elle est plus diplomate et pédagogue que moi, en fait elle a tellement de qualité en plus de la sensibilité que l’on prête toujours aux femmes… » !
Akira Sugiura, le chef japonais du restaurant Lumen a choisi pour pâtissière une jeune femme en reconversion professionnelle qui n’a pas froid aux yeux. Après 10 années passées dans la communication, Judith Ambert, passionnée de pâtisserie et de cuisine s’est engagée dans de nouvelles études et passe son CAP. Travailleuse acharnée, riche d’enthousiasmantes idées aussi poétiques que virtuoses, elle crée des desserts aux effets de textures sensuels et rares comme ses pommes imaginées pour la Saint-Valentin. Ou sa couronne de fleurs créée spécialement pour exprimer sa féminité en cuisine, à déguster très délicatement. Et si le cuisinier et la pâtissière partagent une même exigence, elle se traduit dans des variations complémentaires d’univers sensibles différents. Et ce qui les différencie ? Le sentiment que la main humaine a sculpté le dessert.
Alexandre Bourdas travaille avec Justine Rethore de longue date. Elle l’a quitté pour enrichir son expérience, en l’occurrence chez Pascal Barbot, mais est bien vite revenue… à ses fondamentaux. Avec Alex, elle partage une passion pour le sucré et ils échangent au quotidien autour des desserts. Son impertinence le séduit, son exigence la façonne.Ils partagent encore un humour au second degré, aiment travailler à de nouvelles techniques, descendre les teneurs en sucre… Elle est bluffée, il est content qu’elle soit revenue. « J’aime travailler avec Justine qui aime véritablement la cuisine, est gourmande au bon sens du terme, et surtout s’engage au quotidien ! Les femmes ont une attention particulière aux choses, le souci du détail, le goût de bien faire et j’aime profondément ce dialogue avec Justine en cuisine car la gourmandise féminine est très délicate. Ce qui n’empêche pas un caractère bien trempé ! ».
L’apport de ces femmes aux chefs avec lesquels elles collaborent est évident tant en termes d’idées que de réalisations. Les efforts sont les mêmes que les hommes, les horaires aussi. On peut se poser la question de ce que changerait l’arrivée massive de cuisinières dans ces officines et du nouveau visage que revêtirait la discipline.